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Si je suis bien dans l’écriture essentielle d’un livre, je dois dire que vous êtes aussi du voyage. Pas seulement comme me l’a suggéré Antonin par son encouragement chaleureux : « J’aimerais que, de toutes ces pages que tu nous offres quotidiennement depuis un moment, naisse un roman, fort. Il faut que tu saches qu’il existe obligatoirement d’autres lecteurs, qui, comme moi, seront fiers, voire honorés, d’avoir été métamorphosés en héros indirects d’une publication de Camille Volcane-Azulejo. Ou un spectacle, après. Mais plutôt un texte, écrit, à relire. Alors ne prends pas de gants, tu peux parfaitement lever l’anonymat, et nous nommer clairement. »

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C’est sûr, je continue à remplir mon vrai journal intime, vous n’avez pas l’intégralité de mes humeurs et angoisses. Mais ces jours-ci, je mène aussi ce drôle d’exercice. Égoïstement, j’ose me montrer pas très convenable, avec mes bêtises, mes incohérences, mes fragilités et tout ce qui me rend humaine. Xavier nous a rappelé cette notion essentielle : l’absence de souci du destinataire est propre au diary. Là, ce que je fais avec vous, c’en est un faux, pourrait-on dire, puisque je tiens compte, tout de même, un peu, de vous. Mais pas trop, rassurez-vous. Exemple ? Au début, quand il me paraissait évident qu’il fallait appeler ces envois « Groupe info cancer de Camille », j’ai senti que je risquais de heurter quelques sensibilités. J’ai euphémisé, par « groupe info santé ». C’était encore trop. Si j’ai tenu compte de vous, simplement pour ce titre devenu si platement, mais tout de même très polysémique, et donc intéressant, « Le truc de Camille », voire humoristique, avec « Le machin de Dame Camille », je me dis que pour le reste aussi, je n’ai pas tout à fait une écriture semblable à ce qu’elle serait si je ne m’adressais pas à vous. D’ailleurs, je ne sais plus pour quoi, mais Michel m’a dit : « Tu n’as qu’à écrire le mail pour toi et le garder dans ton journal, sans l’envoyer au groupe. » Pas possible. C’est impensable !

J’écris de manière différente si je sais que vous allez me lire, ou si c’est seulement pour moi. Mon humour, par exemple, n’est peut-être pas aussi... drôle, quand je me parle à moi-même. J’ai plus envie de me morfondre, dans le simple face à face avec ma petite personne. Pourvu que quelques- uns restent là, en direct : votre présence m’aide à établir cette distance, ce rire, qui évite de trop prendre au sérieux ce mal

De : Volcane Camille <camille.volcane@wanadoo.fr>

Date : Lundi 24 octobre 2005 13:23:06 +0200

À : Le cancer de Camille <camille.volcane@wanadoo.fr>

Objet : Cinéma, fonds Arthur Pierrard et tutti quanti.

Chers vous tous, bonjour !

Toujours ce merveilleux ciel bleu — microclimat épisodique sur Gouttesourdre — malgré quelques nuages dans la tête, parfois, mais de moins en moins. Je vais vous raconter, grâce aux notes que j’ai prises au fur et à mesure de notre voyage à Châtillon, ce petit week-end qui avait pour fonction de nous distraire, tous les deux, car nous commencions à être tendus, fatigués, et cette sortie nous a fait le plus grand bien. Penser à autre chose qu’à ce fichu cancer est une nécessité. Le but a été largement atteint, même si, vous le verrez, je ne peux sortir de ma tête cette préoccupation majeure.

(...) Ce qui me trotte dans la tête ? Non, pas la peur de la mort, ni de la maladie. Des questions éthiques. Le problème moral du « Je dis le nom des gens ou je passe dans la fiction ? » Je peux vous expliquer, et vous comprendrez peut-être pourquoi cela me travaille. Il y a des gens que cela gêne, ce que je fais, là. Il y a des gens qui se disent : « Ce n’est pas possible, moi je ne le ferais pas. » Mais, rassurez-vous, je ne vous demande pas d’agir de même ! Ma démarche n’implique que moi, côté écriture. Changer les noms ? Dire qu’hier j’ai rencontré Ségolène et Caroline, sans parler d’Hector et Mohamed ? Bof ! Impossible. Des initiales ? « Lorsque C. s’avance vers moi, je sens tout de suite que... » Pas davantage. Je ne suis pas dans un roman ! Attention, je ne dis pas que je ne ferai pas un livre, de toute cette expérience. Futur, pas conditionnel. Forcément, il ne sera pas tel quel, évidemment ! Un jour...

Mais là, aujourd’hui, hier, demain, ce n’est pas de la littérature, c’est du brut de décoffrage. Et dans le béton, j’ai appris un truc, il faut « tapoter, tapoter, tapoter », pour éviter les bulles. Eh bien moi, pour échapper aux remous, je ne peux pas m’en empêcher, je dois revenir, reprendre, radoter un peu — sans raboter d’ailleurs — parler encore et encore. Bref, vous saouler de toute cette histoire. Plus j’évoque ce cancer, moins j’en ai peur, plus je le mets à distance.

À la fois actrice et spectatrice. On se protège comme on peut. Mais je ne vous impose pas cette lecture.

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