• L'e-Musée des objets - 2

    Suite de mes dépôts...

     

    C'est un musée virtuel,

    où laisser quelques traces, des souvenirs, des objets...

     

    Merci Ella Balaert pour ces pages muséales,

    intimes et universelles.

     

    Deux textes

    pour une bague chargée en émotion.

     

    L'e-Musée des objets - 2

    Sur la photographie, on voit même les blessures de l'améthyste,

    temps qui passe et laisse sa trace...

     

    Quelques semaines après le décès de papa mourait sa mère, Marguerite, tous deux emportés par un cancer. Dans son chagrin, occupée par ses sept enfants, Maman a laissé ses beaux-frères et belles-sœurs vider la maison de ma grand-mère et elle a hérité, notamment, d’une bague en or, surmontée d’une améthyste d’un violet profond, couleur que je n’ai pas tout de suite reliée au deuil, au demi-deuil. Et pourtant !

    Maman, fidèle à mon père, à son souvenir, n’en a jamais fait un bijou de séduction. Au contraire, même. Elle l’a virilisée, dés-érotisée, en quelque sorte, la surnommant sa « bague d’évêque », comme si ainsi elle se protégeait de tout risque de galanterie. J’ai lu depuis que Dionysos, Bacchus, chez les Romains, dieu du vin, prétendait séduire Amethystos, nymphe qui désirait rester chaste. Tiens tiens ! Moi qui ne bois jamais une goutte d’alcool, j’ai souri en découvrant que le nom de cette pierre signifie en grec « préserver de l’ivresse, la contenir » ! J’aime ces clins d’œil de l’existence…

    Si maman la portait peu, uniquement pour les occasions exceptionnelles, elle en faisait grand cas, toutefois, la rendant quasi inestimable à nos yeux. Petite fille, j’en admirais la transparence, la couleur, translucide, son écrin d’or ciselé, quatre pétales d’or finement travaillés, à la fois massifs et délicats : une fleur, épanouie, que maman exhibait à son annulaire lors des « grands jours ». À son décès, mes frères ont décidé de ce que je devais mettre dans ma voiture. J’ai emporté des cartons, sans savoir ce qu’ils contenaient. Surprise, à la maison, j’ai découvert la boîte à bijoux, et ce « trésor » de mon enfance. J’ai envisagé tout récemment de l’offrir à ma sœur aînée pour ses 70 ans. Mais cette dernière n’a pas un attachement particulier aux objets, la valeur affective ne fonctionne pas chez elle comme chez moi : elle revend, transforme, jette. Déposer au musée la photographie de cette bague, c’est déjà la préserver. J’ai aussi rencontré une psychologue, parlé avec elle de l’ambivalence, parfois, de maman, et, par contrecoup, de la mienne. J’ai finalement décidé de conserver cette bague, héritage familial, et même de la porter, parfois, peut-être. Si elle matérialise le deuil, par sa pierre, elle reflète aussi la transmission. Mieux encore : elle offre l’image de la vie, par son ornement végétal, rayonnant, ouvert, lumineux pour l’éternité.

    Anne Poiré Guallino– Dimanche 26 mars 2023

     

     

    La bague d’évêque

    Rien de religieux dans cette fleur d’améthyste aux pétales d’or, surtout pour moi qui suis totalement athée. Néanmoins, maman l’appelait ainsi : sa « bague d’évêque ». Pour elle, si discrète, c’était une trop grosse pierre, ostentatoire, qu’elle n’osait glisser à son annulaire que pour « les très très grandes occasions ». Petite fille, je l’admirais. Trésor irremplaçable, je le convoitais comme un sucre d’orge. Je jouais à l’occasion avec la boîte à bijoux de maman, sortant des chaînes cassées, des médailles mordillées par chacun d’entre nous, les sept enfants, bébés. J’étais sûre que cette splendeur — que je n’osais toucher — jamais ne me reviendrait.

    Comme j’ai été surprise de la retrouver, si minuscule, finalement, réduite à sa simple réalité, loin de mes fantasmes rêveurs. Moi qui porte du pur plastique, coloré, clinquant, grand format, comment ai-je pu m’enthousiasmer pour cet anneau, si classique? Maman en a hérité à la mort de ma grand-mère paternelle, Marguerite Poiré, en décembre 1974. C’était un cadeau de l’une de mes tantes. Thérèse ayant vécu durant des années à Madagascar, ce joyau vient de cette île lointaine. De cette grand-mère me restent peu de souvenirs. Lorsqu’on quittait sa maison, sur le seuil de la porte, elle m’appelait « mon piabiqui », mon petit biquet, en caressant gentiment mes boucles rousses. Dans sa chambre, dont j’ai tout oublié, sur un meuble bas, reposait une main en porcelaine. Cadeau commercial : me revient soudain le nom de cette marque, « Avon », de cosmétique, si éloignée des préoccupations plus spirituelles de notre mère. Sur Internet, j’ai trouvé un tel baguier vintage. Ce porte-bijoux représentait tout sauf notre supposé bon goût familial, et je m’étonne d’avoir gardé en mémoire cet objet populaire, vraiment inélégant, plutôt que le piano sur lequel « la Mamy » avait donné des cours et dont avait également dû jouer mon grand-père, organiste de sa commune.

    Curieux, comme cette bague d’évêque me conduit loin de maman, finalement, plus près de la famille Poiré. Lorsque je me renseigne sur ces fameux produits de beauté, je découvre qu’en 1886 le fondateur de cette entreprise s’est lancé dans l’aventure pour mieux vendre… des livres : en parfait commercial, il offrait un flacon de parfum à la rose, inventé par lui, à quiconque dépensait de quoi lire ! En 1939, la société a d’ailleurs changé de nom en hommage à Shakespeare et sa ville natale : Stratford-on-Avon. La littérature, déjà, toujours là. Boucle ainsi bouclée (non celle de mon indomptable chevelure) : l’autre souvenir, de cet héritage, de 1974, ce sont tous ces ouvrages, jaunissant — des bibliothèques entières — arrivés à la maison. Du haut de mes neuf ans, je les ai compulsés, classés, rangés avec délectation. Cet anneau qui n’a rien d’épiscopal, à la lumineuse pierre taillée, à l’or travaillé, ciselé, alchimie merveilleuse, dégage donc pour moi le parfum rieur et chaleureux, furtif, composite, de ma tante, de ma grand-mère, de ma maman… Et des livres aussi.

    Anne Poiré – Samedi 25 mars 2023

    À retrouver ici au musée...

     

     

     

    La valise Keith Haring

    L'e-Musée des objets - 2

    à retrouver au musée en cliquant ici.

     

    Et le texte ?

     

    La valise Keith Haring

     

    C’est une valise que nous nous sommes offertes sur un coup de tête, pour sa dimension picturale, ses jolies couleurs et son graphisme typique d’un artiste américain, sympathique représentant de la figuration libre et du XXe siècle. Nous n’oserons jamais l’utiliser pour partir en voyage. Depuis bientôt trois ans, probablement plus, elle est restée, abandonnée dans un coin, à s’empoussiérer à l’étage : nous attendions des travaux d’aménagement qui ne démarraient pas. Vive le confinement ! Ces derniers sont terminés, et ce matin, je me dis en rangeant le désordre accumulé : « On ne va pas laisser à vie cette valise, là, en plein passage. » Je décide de la déplacer, et de la loger dans le domaine où nous nous délectons avec toiles, sculptures, objets du monde entier : notre collection. Elle complètera notre petit musée personnel, article contemporain, au milieu de notre trésor. Seulement, lorsque je l’ai saisie, une incroyable résistance m’a fait sursauter. Impossible de la soulever. Comment avions-nous pu acheter un bagage tellement lourd ? Ah, oui, pour son esthétique. Je respire profondément, m’empare sans hésiter de la poignée, bien résolue à en venir à bout. La valise n’a pas bougé d’un millimètre. Curieuse du phénomène, soudain alertée par l’étrangeté de ce qui venait de se produire, j’ai commencé à penser que, peut-être, la valise n’était pas vide.

    J’ai entr’ouvert la fermeture à glissière, à peine écarté les côtés rigides, et là, stupéfaction. J’ai aussitôt pris le parti de refermer, il fallait que nous soyons ensemble, et j’ai appelé Patrick. Lui aussi avait oublié... Quand nous avons entrepris de déménager une partie de notre attirail afin de faire rénover les pièces qui viennent enfin de retrouver allure humaine, il a dû enfourner, sans trop réfléchir, mettant en sûreté chaque objet, recouvert d’un large pan de tissu, tout ce qui a pu entrer dans la malle aux trésors. Quel plaisir, ce dimanche, en (re)découvrant avec émerveillement des sculptures de tous les continents, un magnifique polyptyque acquis auprès d’une Japonaise, un pectoral perlé, des pièces africaines de bois, ciselé, une coiffe d’Asie, des maisons peintes, de guingois, par une artiste française d’aujourd’hui, un tissage ramené du Vietnam, assemblé et teinté par les Hmongs, ces tribus dites minoritaires, un masque du Tibet, et des matières, des formes délicates. Réellement le nec plus ultra. Nous avions totalement perdu de vue le fait qu’ils reposaient là, ô scandale, notamment pour deux figures travaillées, d’Océanie, je l’avoue, je ne me souvenais même plus que nous avions pareil prodige.

    Ô valise Keith Haring, merci d’avoir protégé en ton généreux ventre tant de magnificence, de féerie. Quelle contenance ! Cela ne s’arrêtait jamais. Nous étions suspendus aux prochaines découvertes, à déballer une à une ces inestimables splendeurs. « C’est à nous ? » Pochette surprise qui n’en finissait pas de nous subjuguer. Nous nous sommes interrogés, émus : faut-il à nouveau glisser à l’intérieur du havre coloré de ce précieux coffret d’autres Phénix, à reconsidérer, avec un contentement inimaginable dans quelques années ? Quel merveilleux miracle, tout à l’heure : comme notre distraction nous a permis de nous régaler ! Nous avons vécu un moment magique. Le voyage n’a pas été immobile, ni dans le temps, ni dans l’espace. Nous avons été transportés. Vraiment.

     

    Un dépôt mien, récent ?

    Tout à fait de saison, en mai : une guirlande de Noël !

     

    Comme l'écrit le musée :

    Certaines lumières brillent encore

    quand la fête est finie, les personnes parties,

    les interrupteurs baissés…

    L'e-Musée des objets - 2

     

    La guirlande de Noël

     

    Scintillante, lumineuse, colorée, elle clignote dans mes souvenirs, star de tous nos sapins de Noël. Maman se remémorait encore parfaitement il y a peu le magasin où elle l’avait dénichée, jeune femme. Était-ce à Thionville ? Elle devait valoir cher : Elisabeth a fait plusieurs fois le tour du quartier, songeuse, hésitante, avant de revenir sur ses pas. Impossible de résister à l’appel de la clarté et de la beauté, tant pis s’il fallait économiser pour cela dans d’autres domaines, nettement moins vitaux. « Avec papa, nous étions si heureux ! » Des lanternes décoratives, utiles surtout, il y en avait, dans la maison de mes parents. Dès l’accueil, on était reçu par une applique extérieure, en fer forgé, dont les parois étaient composées d’un vitrail artistique, au motif assez sobre de tulipes art-déco, de verre cerclé de plomb. D’autres lampes recevaient les visiteurs, même une que je n’aimais guère et dont j’ai déjà parlé dans ce musée[1], et d’autres, toutes sur le même modèle, finalement, suspensions de métal noir, éclairant les passages, couloirs du haut, celui du bas. C’est en vidant la maison que j’ai pris conscience de la quantité de luminaires, lanternes de Diogène, éclairages de petit Poucet réverbérant caillou à galet, silex, gravier, mon passé de friable roc.

    La forme devait leur plaire ou bien était-ce un effet de mode ? Cette guirlande électrique d’un tout autre usage est restée, vaillante, avec ses impeccables facettes, auréolées de blanc opalescent, de rubis profond, de bleu concurrençant le ciel, de vert franc, tirant sur l’émeraude, de jaune d’or s’épanouissant jusqu’à l’orangé. Même lorsque la mode des sapins plus sobres, moins polychromes, a gangréné le salon familial, cette guirlande est restée, vaillante. Elle a continué à être sortie délicatement chaque année des cartons. L’apparent bronze doré et le verre - de pur plastique - ont su résister aux générations d’enfants – sept – puis de petits-enfants, enfin d’arrière-petits-enfants, malgré l’excitation des soirs de fête, moments où nous garnissions, de façon parfois fiévreuse, ensemble le sapin. Depuis quelques dizaines d’années, déjà, la partie électrique ne fonctionne plus. Maman a toutefois conservé cette si historique et attachante guirlande : « Avoue qu’elle est vraiment belle ! » Nous l’avons encore exhibée, jusqu’à la dernière fête partagée à Ay-sur-Moselle. Avant de partir en maison de retraite, maman a collé dessus un post-it. Elle a écrit : « Très précieux, à garder », de son écriture si typique, et je n’ai pas hésité quand je l’ai retrouvée. J’avais juste peur qu’elle ait disparu avant que je ne mette la main sur ce trésor ! Les lanternes miroitantes protègent, désormais, nos jours comme nos nuits, au cœur de notre pièce principale, douze mois sur douze. La guirlande n’attend plus décembre pour jaillir de son emballage. Elle prend à tout moment la lumière, suspendue à la fenêtre. Elle veille. À la plus petite étincelle de soleil, elle s’allume, dorénavant solaire à sa façon. Elle prend garde de m’apporter éclat et luminosité, et de me réconforter. Les délices de l’enfance nous accompagnent à vie. Émerveillements impossibles à traduire avec les mots communs, cet irremplaçable objet – flamboyant, pétillant, chatoyant - capte le moindre rayon, il me renvoie ainsi aux mille et un éblouissements de mes jeunes années.

     



    [1] Cf La lampe en fer forgé

     

     

    L'e-Musée des objets - 2

     

    En harmonie

    avec le jardin des plus de deux mille cœurs...

     

    L'e-Musée des objets - 2

    Au musée, c'est là.

     

     Vos commentaires :

    Belles surprises oubliées !! Les meilleures !

     

    Mais qu'y a-t-il donc dans cette valise ?

     

    De ces deux textes, l'un porte un peu plus sur la transmission grand-mère/mère, et l'autre sur mère/toi 

    trois générations de femmes...

     

    Cette bague est magnifique..

     

    Cette bague est sublime, et le récit si touchant. Ce que recèle pour nous certains objets... c'est très émouvant. Merci pour ce partage

     

     

    Retrouvez une première page de ce blog

    qui évoque ce musée si touchant, en cliquant ici.

     

    Buffet, sonnette, Longwy,

    machine à écrire,

    petit Robert, chaise à dossier de bois, en forme de cœur,

    et autres souvenirs...

    de plein d'autres déposants,

    si vous vous rendez directement sur le site muséal,

    en cliquant ici.

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