• L'eMusée des objets de famille

    Le blog d'Ella Balaert

     

    De l'intime... Et de l'universel !

     

    Le buffet

    à retrouver, avec une autre photographie, en cliquant ici

    sur l'e-Musée des objets de famille...

    L'eMusée des objets de famille

    C’est mon arrière-grand-père Ernest Reibel qui l’a sculpté. Né en 1874, mort en novembre 1934, cet homme bon et généreux, dévoué, a beaucoup marqué maman, qui ne l’a pourtant connu que jusqu’à l’âge de cinq ans : « Il était tellement gentil ! » Ce buffet Henri II ornait la salle à manger du chalet, après la mort de ma grand-mère, puis il a été démonté, et faute de place, s’est longtemps empoussiéré chez maman, au sous-sol, à l’ombre de la « salle de jeux », en réalité véritable lieu de passage – sombre – pour se rendre au garage : on y glissait des pots de confiture, pleins et vides, et le pot au lait pour ramasser les myrtilles et les framboises, en saison. L’élément qui permettait de déposer des assiettes et même un plateau, dont j’ai hérité, entre les deux corps, le vaisselier de bois tourné, et les colonnes qui le maintenaient, ont été jetés un jour par P. et je l’ai donc récupéré cet été, dans cet état, incomplet, blessé par le temps. J’ignorais combien je tenais à ce meuble imposant, mais il était impossible de le laisser disparaître. Je l’ai vu pendant plus de cinquante ans sans constater avant le mois de juillet que deux poissons, rebondis, sculptés dans les méandres du bois, en ornent, avec grâce, le haut. Désormais j’associe notre bassin à rêves rouges et le travail de ce menuisier, ébéniste talentueux. Il devait être un bon ouvrier : durant la seconde guerre mondiale, maman se souvient, petite fille, avoir croisé avec sa mère l’ancien patron de son grand-père. Ce dernier leur a offert à toutes deux une pâtisserie, en souvenir de ce cher Ernest. Une gourmandise, en pleines restrictions : lorsque nous passons sur la place de Metz où eut lieu la rencontre, à l’angle de la place Saint-Jacques, maman, à plus de 90 ans, encore maintenant, me raconte l’anecdote, toujours émerveillée de tant de générosité, et de reconnaissance posthume. J’ai décidé d’emporter chez moi ce meuble associé à notre vie, plusieurs générations mêlées, alors qu’il est – a priori – tout sauf dans mon goût. Ce style « néo-Renaissance », avec ses colonnes annelées, ses feuilles d’acanthe, et la fantaisie de ses fleurs, suggérant la corne d’abondance, ses balustres et sculptures en bas-relief, ses motifs plus géométriques, en bas, en pointe de diamant, tout me semblait d’un kitsch dépassé, avant qu’il entre dans ma maison. Même avec ses anciennes poignées de cuivre du haut, remplacées, transformées par qui ?, de façon inadaptée, en argenté, mon cœur bat, désormais, chaque jour, lorsque je passe devant cette magnifique mémoire vivante de notre histoire familiale. Maman ne cesse de me répéter que pour elle, ce déménagement, ce meuble « sauvé », constitue un soulagement : « Tu nous continues. » Elle emploie d’ailleurs un autre mot, depuis la maison de retraite, où démarre pour elle une nouvelle vie : « C’est une consolation. » Je suis désormais attachée d’une manière incroyable à ces sculptures qui – sinon – auraient été vouées à partir du côté d’Emmaüs, ou pire, à la déchèterie. Les deux portes vitrées, centrales, d’un vert ancien, font aussi vibrer mon cœur : elles protègent quelques verres à jus de fruit, lourds, taillés, qui tintent mystérieusement, lorsque j’ouvre celles de bois, du haut comme du bas. C’est la petite musique du chalet, qui resurgit, légère, ses cristalleries, nos étés, les sapins… l’enfance, l’adolescence. Un parfum unique, des images de grès rose : tant de bonheur partagé !

     

     

    Un squelette de bibliothèque

    L'eMusée des objets de famille

    Papa avait habillé les murs de « frisette », ce bois chaud aux nœuds irréguliers. Juste après sa mort, puis celle de sa mère, quelques semaines plus tard, nous avons vu arriver la part d’héritage grand-parental, dans notre maison : notamment des cartons et des cartons de livres. Empilés dans la salle de jeu, dans le couloir, partout, ils attendaient sagement qu’on leur trouve une place… Les bibliothèques, les armoires débordaient déjà à l’étage comme en bas, et un ami de maman est venu dans l’urgence, en sauveur, bricoler pour nous cette solide étagère dans ce qui fut au sous-sol la chambre de JM., puis celle de F., la mienne, durant des années, et enfin celle de P., par la suite. J’avais neuf ans. Je me revois, déballant tous ces ouvrages, souvent d’histoire locale, parfois même en « lourrain ». J’en respirais le papier jaunissant. J’en caressais les papiers, épais, gauffrés, usés. J’en survolais bon nombre, je les feuilletais, happant au passage quelques expressions, des chapitres entiers. J’en mettais de côté, je les classais par collections, grandeur, thèmes. J’admirais le tampon à l’encre violette apposé à l’intérieur : « Gabriel Poiré, instituteur », les dédicaces – souvent pompeuses – qui étaient adressées à cet inconnu décédé si longtemps avant ma naissance. Cette bibliothèque venait compléter celles, plus littéraires, de mon père, de mes frères et sœurs aînés, et celle des livres en anglais, en allemand, de mon autre grand-père, déjà emporté lui aussi depuis plus de dix ans, sans oublier l’attirail gourmand et coloré des enfants plus jeunes, comme nos collections de « Sylvain Sylvette ». Ces rayonnages fonctionnels s’engorgeraient par la suite des ouvrages de philosophie de F., avant de protéger tous mes trésors, de poésie, notamment, et mes propres écrits… J’ai toujours connu par la suite ce mur totalement rempli, débordant, « enlivré » jusqu’au plafond et dans ses moindres recoins.Comme un squelette abandonné, démusclé, quelle déchirure de le voir se vider. Inoccupé, déserté. Indécent, inhabité : tout nu. Ou bien promesse d’une nouvelle vie, à laquelle je ne prendrai part que dans l’imaginaire ? Bibliothèque en creux, de tous les possibles. Je n’ai pas pu me retenir d’en prendre une photographie. Je vois les tranches, les couleurs, les couvertures, les dos, les majuscules, les cartonnés, les poches, dictionnaires, feuillets repliés, je les distingue, sur les rayons. Espérances, récompenses, apaisements, surprises, cadeaux, oublis… C’est comme si tous les livres passés par cette bibliothèque si longtemps mienne étaient toujours là.  

    À retrouver au musée en cliquant ici.

     

    Une sonnette, objet du quotidien.

    à retrouver au musée en cliquant ici.

    L'eMusée des objets de famille

    Quand j’en ai montré la photo à maman, en lui annonçant que j’allais la déposer à L’e-musée de l’objet, elle a sursauté : « Eh bien, elle n’est plus très propre ! » Est-ce étonnant ? La sonnette du 43 rue de Thionville a dû être installée au printemps 1969. Plus d’un demi-siècle plus tard, elle indique toujours le prénom de papa, notre nom. L’encre noire marquée par la rouille du temps constitue un bref échantillon – touchant – de l’écriture de maman, s’efforçant d’être lisible. Le cadre martelé a dû être bricolé par elle. Elle avait embelli de la sorte les poignées de portes, à l’étage, avec des grappes de raisin, des blasons, des feuillages savamment dessinés sur de l’étain repoussé. C’est ma grand-mère paternelle, Marguerite, la Mamie, qui lui en avait appris la technique. Lorsque j’ai quitté pour la dernière fois la maison qui vient d’être vendue, j’ai fixé, la gorge serrée, cette inoubliable sonnette, tant de fois vue, souvent sans m’y arrêter vraiment. J’ai tintinnabulé, pendant des années, hardiment, lorsque j’arrivais, pour manifester ma joie des retrouvailles et annoncer ma venue, lorsque maman n’avait pas anticipé, accouru au bas de l’escalier, et volé jusqu’au trottoir, pour nous recevoir en pantoufles, les bras ouverts. En attendant qu’elle arrive, tous ses amis, si nombreux, de différentes générations et d’horizons divers, ont également appuyé sur le bouton, tout en admirant les branches de sapin, les sabots lorrains revitalisés, rehaussés par elle en peinture paysanne, le cœur en osier glissé contre la porte en bois vitrée, la grosse bougie choisie pour « faire joli », ou la composition florale du moment, œufs de Pâques, feuillages d’automne… Décors d’hospitalité, modifiés par ses soins, au gré des saisons, afin de dire bonjour, accueillir au mieux. Forcément, le nouveau propriétaire va la changer, cette vieille sonnette d’un autre temps. Son premier geste sera d’apposer son identité personnelle, et c’est normal, afin de prendre possession des lieux. Mais ce grelot rouillé, mangé par le temps, au timbre inimitable, est gravé pour toujours dans toutes les fibres de mon corps. Il carillonne joyeusement, il sent bon l’enfance, l’arrivée du Père Noël ; il fleure aussi l’adolescence, l’âge adulte, la tendresse partagée : une vie de bonheur. Juste à côté, sur la droite, une sobre plaque de terre cuite avait été offerte par L. W. à la mort de papa. Elle indique le prénom de maman, suivi de celui – abondante rimbambelle ! – de ses sept enfants. Elle se termine par ce magnifique élargissement au reste du monde : « et tous les autres », suivi de points de suspension imaginaires, encore plus ouverts, incluant l’Inconnu, la ou le nouvel ami potentiel, la bouche à nourrir, l’âme en peine, à accueillir, rasséréner et soutenir. Ce joli souvenir – concret – est heureusement conservé dans la chambre de l’EHPAD où maman est installée depuis le 2 juillet. On frappe désormais à sa porte. Plus de drelin drelin. Juste dans l’imaginaire « tire la chevillette et la Bobette cherra ». Oui, pas la « bobinette ». Papa – Boby – appelait ainsi maman, sa « Bobette », et nous étions alors leurs tendres « Bobichonnets ». « Tire la chevillette et la bob(in)ette cherra ». Le loup du grand âge est passé par là, mais la litanie familiale, amicale – « et tous les autres » -, continuera longtemps, je l’espère à entourer, réconforter, protéger ma maman.

     

    Une nouvelle entrée, pour trois Longwy :

    à retrouver au musée en cliquant ici.

     

     

    L'eMusée des objets de famille

     

    Dans la maison familiale trônait sur le mur de la salle à manger un plat non pas de Limoges, mais en émaux de Longwy, coloré, proposant en son centre des flamants roses rappelant les cigognes de l’Alsace toute proche du cœur de maman. Malgré les nuances et couleurs plutôt vives, contrastées, comme dans les détails de l’eau, le décor floral, assez typique, ancien, ne me plaisait pas du tout : je le trouvais lourd, trop répétitif et chargé. J’ai nettement préféré le tout petit baobab,  quasi miniature, au tronc uniformément doré, sur fond orange, offert par maman lorsque, il y a quelques années, nous sommes allées visiter ensemble, avec P., cette manufacture régionale et qu’elle a pu me montrer qu’il existait aussi des modèles beaucoup plus contemporains, une gamme novatrice, dans ses formes comme dans son rapport à la palette. Mais la pièce la plus belle, la plus rare, d’exception, présente dans ma collection depuis mars 2008, c’est cet oiseau de paix, cette colombe au rameau d’olivier glissé dans un bec jaune d’or, aux formes épurées : une réalisation de maman, Lisbeth Poiré. Ma touche-à-tout de mère a eu l’occasion de s’inscrire à un stage, sur place, dans cette manufacture des faïenceries et émaux, fondée  en 1798, en Meurthe-et-Moselle et elle m’a offert la coupelle qu’elle y a réalisée avec amour. Motif, coloris, symbolique : c’est elle, typiquement. Si le savoir-faire des émaux de Longwy est inscrit à l’inventaire du patrimoine immatériel, en France, maman m’a fait don d’une pièce unique, douce et hautement porteuse de sens, un singulier Longwy : bien plus riche à mes yeux qu’un Picasso. C’est vrai, ce trésor relève d’une sorte fort rare de patrimoine – matrimoine fondamental – immatériel. Un lien indéfectible nous lie. Le choix du sujet me rappelle automatiquement cette tapisserie, qu’elle avait brodée, inventée par elle-même, pour décorer l’entrée de la maison, et en particulier allongée durant de longues semaines, pendant son avant-dernière, puis son ultime grossesse, cinq ans, puis sept ans après ma naissance. Nous n’en avons hélas plus aucune trace, tableau disparu au fil des ans : sur toile de jute, tendue sur un contreplaqué, suspendu au-dessus des marches conduisant au sous-sol, un panneau de bien un mètre sur soixante centimètres, peut-être davantage, symbolisait toute notre joyeuse nichée. Deux grands oiseaux, entourés de leurs oisillons, chaque enfant doté d’une couleur distincte. La petite Annette – le soleil de ses parents – a eu la chance d’hériter du jaune vif, pissenlit, bouton d’or, tournesol, que j’affectionne particulièrement, et que je retrouve dans le bec et le plumage de cette colombe de la paix maternelle. Mes deux petits frères, qui ont suivi, étaient brodés de fils moulinés DMC – écheveaux que j’aimais à caresser en admirant le travail manuel minutieux et patient de maman – l’un de bleu, l’autre de blanc : maintenant que je l’observe, à la lumière de ces souvenirs, c’est soudain comme si ce Longwy exclusif synthétisait une part de ma toute petite enfance. Trois Longwy, donc, dans mon histoire personnelle : un grand (que je n’ai plus mais qui m’appartient pour toujours), un moyen, un petit… « Boucles d’or » convoquée, autre réminiscence du passé : jamais je ne me séparerai de cette colombe de la paix précieuse et rare. Inestimable.

     

    Pour une lampe effroyable.

    L'eMusée des objets de famille

    Petite fille, elle me terrifiait. De fer forgé tout noir, soutenant un quasi vase ouvert, ni globe, ni cylindre, de verre ambré, elle éclairait – mal – le haut de la cage d’escalier, le « vestibule », comme disait maman, entre cuisine, salon et salle à manger. Peut-être mes peurs naissaient-elles de sa situation : le cœur battant, je la voyais en remontant du sous-sol, peuplé par quels fantômes ? Quand on est enfant, on s’invente des histoires, on masque ses angoisses par des déformations surprenantes. Maintenant que j’ai grandi, j’ai du mal à me l’expliquer : cette lampe se distordait, devenait grimaçante, un visage inquiétant apparaissait et le génie qui l’habitait me tirait peut-être même la langue.
    Les adultes ne peuvent comprendre. Il m’arrivait de passer les yeux fermés, pour éviter de croiser le regard malveillant de l’homme, le lutin, le monstre qui habitait cette lampe. Redoutable hallucination ; divagation craintive, tremblante chimère, berlue épouvantée. 
    Lorsque la maison de maman a été vidée, j’aurais pu décrocher la chaîne et emporter en souvenir ce luminaire rétro, soi-disant « vintage ». Je l’ai laissé au prochain propriétaire, étrange lanterne ouverte, non pas d’Aladin. Merveilleuse, pourtant : dans sa sobriété torsadée, la fillette que j’étais a pu imaginer mille simagrées – froncements de sourcils, dissimulations et mimiques sournoises, à moi seule évidentes. La femme que je suis devenue s’étonne de ne pas en retrouver trace. 
    Je tiens désormais une jubilatoire revanche sur mes peurs enfantines : cette photographie déposée au musée immobilise cette suspension dans son état le plus normal, de lampe. Restez ainsi, fer forgé, verre jauni, poussière d’autrefois. Le génie, c’est moi désormais qui vais décider quand je le ferai sortir, et quel visage je vais lui octroyer. Finies les singeries malintentionnées, les rictus effroyables, les menaces subies. Seuls des sourires rassurants et des encouragements bienveillants sont à présent autorisés. 
    Comme la réponse m’a semblé évidente lorsque j’ai lu « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » ! Qu’Alphonse de Lamartine me pardonne, et même Raymond Devos, son improbable successeur. Mais, franchement, faut-il être une lumière pour répondre à pareille question ?

     

    À retrouver au musée en cliquant ici.

     

    Et quelques commentaires ?

    Suspension... de la lumière, du temps...

     

     Quel joli texte, chère Anne !

    et comme tu évoques bien l'imagination terrifiée de l'enfant !

     

     

    Un autre dépôt, au musée,

    pour le Petit Robert :

    L'eMusée des objets de famille

    à retrouver ici, au musée.

     

    Le petit Robert

     

     

    C’est l’un des seuls cadeaux reçus à notre mariage, en 1987, dont je me souvienne avec précision.

     

    Les trois amies de maman, Didine, Régine et Thérèse, trois vieilles filles charmantes, avaient demandé ce qui pourrait me faire plaisir pour l’occasion. Claudine Adam, Régine Jaeger, Thérèse Martin : elles se sont réunies, pour m’offrir le plus beau des présents (plein d’avenir !), l’unique livre que j’ai ouvert tous les jours de ma vie, du moment où je l’ai reçu, jusqu’au matin où, presque infidèle, je l’ai remplacé par un CD, du même nom, « Robert », que je glissais dans le lecteur de mon ordinateur. Et puis j’ai découvert les dictionnaires en ligne, le merveilleux CNRTL et ses pages ont commencé à se couvrir de poussière, même si elles font toujours battre mon cœur, rétrospectivement...

     

    Grâce à ce cadeau exceptionnel, j’ai affiné mes écrits, durant des années. J’en caressais la couverture, légèrement en relief, tout en réfléchissant. J’en aimais le nom – le prénom exact de mon papa, mort en 1974, quand je n’avais que neuf ans. Curieusement, il me rappelle aussi le Larousse de ma petite enfance, semant à tout vent, et ses pages roses, contenant des citations incroyables, parfois en latin, voire en d’autres langues encore. Quel régal ! C’est d’ailleurs avec Régine que j’ai joué au Scrabble, durant la semaine qu’elle a passée avec moi au chalet, lorsqu’on a découvert la maladie de mon père. Je consultais les pages, à la recherche de mots contenant K, W, Z, X, Q... ces lettres retorses valant dix points. Je me délectais déjà.

     

    J’apprécie toujours autant les dictionnaires. Quel inoubliable cadeau de mariage ! Patrick heureusement n’est pas trop jaloux : il a dû partager d’abord sa vie avec le petit Robert, et maintenant avec un Mac ! Que l’on se rassure, il conserve tout de même toujours ma préférence. Et pourtant, quelles extases avec ce dictionnaire, et tous les autres. Un mot en entraîne un autre, puis d’autres. Infini plaisir !

     

     

     

    PS : Dedans, endormies, je viens de retrouver deux pages d’un manuscrit à la « San Antonio », Pèle donc les pamplemousses, qui n’a jamais retenu l’attention du moindre éditeur : dommage ! Je m’étais bien amusée avec la langue, pourtant.

     

     

     

    Et là, concernant, une chaise, une étape de vie,

    et un cœur...

    À lire ici au musée. 

    Maman a décidé qu’elle allait entrer en maison de retraite, son dossier est déposé, elle attend désormais qu’une place se libère : nouvelle tranche de vie, pour elle comme pour nous. Il faudra vider, puis vendre sa maison, notre nid, ces pièces dans lesquelles j’ai grandi, dont chaque objet, chaque recoin a une histoire. Il y en a des anecdotes à raconter, des bibelots, des meubles, des « riens » à décrire… 

    Dans l’entrée, contre le cache-radiateur bricolé par papa avant sa mort en 1974, et la frisette qu’il avait aussi installée, avec amour, veille la chaise alsacienne, déjà déposée au musée, il y a quelques mois. Ce siège de bois est agrémenté d’un napperon et d’un petit coussin brodé à l’initiale de ma mère : des gestes amicaux, « des petits riens », des travaux d’aiguille d’amies qui comptent pour elle. Une façon de rendre hommage au temps passé à créer, de ses doigts, afin de faire plaisir à l’autre. Sous le napperon, on le devine, à peine, sur la photographie, maman a scotché depuis cet été un grand papier sur lequel il est précisé que cette chaise est destinée à sa petite-fille M., à son mari E. et à leur fils J. Une transmission s’amorce, un lien, entre les objets, les gens qui s’aiment, l’accueil, un pont, entre le passé, le présent et le futur. Quant au tapis, sur lequel repose la chaise, j’ignore chez qui il poursuivra son voyage. Maman s’en était acheté un, plus grand, avec l’argent de ses amis, la cagnotte de ses 70 ans. Il trône toujours à l’étage, dans la salle à manger : pour elle, ce choix constituait tout un symbole. Une façon de rappeler tous ces liens, noués, entre eux et elle, ce que la vie tisse, jour après jour, marche après marche, pour chacun d’entre nous. Motif régulier, pas toujours, motif que l’on ne perçoit pas de la même façon, selon que l’on regarde de près, ou de loin, ou en fonction de ce que l’on dépose dessus. Y compris une chaise : écho à la Forêt-Noire, à la « belle Alsace », si chère au cœur de ma mère, écho surtout aux générations qui nous ont précédés.

    Déjà, en ce mois de juin 2019,

    concernant une chaise alsacienne...

    à lire ici au musée !

     

    L'eMusée des objets de famille

     

    Ou ci-dessous,

    afin de tout rassembler sur ce blog

    Maman aura 90 ans cette année. Dans le vestibule de sa maison, qu’elle occupe seule, toujours autonome, un modeste siège de bois découpé, au dossier percé d’un cœur et aux pieds divergents, accueille les visiteurs. En ce mois de juin 2019, l’une de mes sœurs, qui habite la même région qu’elle, nous écrit, à tous, ses six frères et sœurs, ainsi qu’aux neveux et nièce : « Par ailleurs, elle voulait aussi que je vous transmette ceci : le jour où elle mourra, nous pouvons jeter, donner, faire ce que nous voulons de sa maison SAUF une chose : la petite chaise alsacienne qui se trouve dans l’entrée (photo en pièce jointe) DOIT rester dans la famille, elle représente l’héritage de sa grand-mère, le côté Forêt Noire même si elle sait que cette chaise a été achetée avec papa, c’est vraiment très important pour elle. » Ma nièce M. a aussitôt répondu : « En ce qui concerne la chaise alsacienne… Cette volonté peut surprendre certains et faire sourire. En ce qui me concerne cela me touche. Comment serons-nous à 90 ans avec notre histoire, nos souvenirs, nos espoirs…? C’est avec un grand respect que je prends cette demande au sérieux. Si personne ne se projette avec cette chaise de mamie, nous la garderons précieusement avec nous et la transmettrons. Je le promets, pour mamie et tout ce qu’elle représente. »

    De mon côté, je n’ai pas vraiment besoin de posséder cet objet familial : moi qui n’ai pas connu mes deux grands-pères, décédés bien avant ma naissance, et si peu mes grands-mères, j’ai publié en 2014 aux éditions Le Verger des Hespérides un roman jeunesse quasi épuisé à ce jour, Papi Jeannot, sur les traces, les transmissions, les secrets de famille. Je ne connais pas du tout l’illustratrice, Laurence Schluth, l’éditrice seule a dialogué avec elle. Lorsque j’ai découvert l’ouvrage transformé par le biais des dessins qu’elle a pu imaginer, j’ai sursauté. C’était un peu comme si cette créatrice avait soulevé le voile, me connaissait, intimement. Par exemple, au bas de la page 108, elle a dessiné spontanément ce siège, au dossier typique. Pur hasard ? Cette pièce familiale ajourée est donc d’ores et déjà immortalisée, dans sa quintessence, par ce livre, cette pure fiction. Ainsi, elle reste à sa façon dans la famille. Et, désormais, par ces quelques mots, voilà qu’elle entre même au musée.

     

     

     

    C'est un tout nouveau blog,

    et je vous en parle

    car je suis toujours très sensible à l'écriture autobiographique,

    aux traces,

    à la mémoire...

     

    Un texte peut être déposé à l'Association Pour l'Autobiographie, créée par mon cher Philippe Lejeune.

    Pour en savoir plus sur cette association, cliquez ici !

     
    Mais quand il s'agit d'un objet,

    gorgé de souvenirs ?

     

    Ella Balaert a eu une excellente idée :

    ouvrir un

    e-musée des objets de famille.

     

    J'y raconte par exemple

    l'histoire du livre d'or de mon enfance -

    pas la nouvelle publiée aux éditions D'un Noir Si Bleu.

    (Pour ce texte, vous trouverez quelques renseignements ici.

    Je ne devrais pas vous en parler,

    le livret carte postale de la nouvelle est bientôt épuisé.)
     

    Pour mémoire...

    L'eMusée des objets de famille

     

    Bref, l'idée d'Ella me séduit tout particulièrement.
    Je compte bien lui envoyer d'autres textes et photographies...

     

    J'ai tant d'objets familiaux qui ont une histoire,

    comme le stylo de l'oncle J,

    la machine à écrire de MD...

     

     

    Allez, ci-dessous, j'ajoute la photographie

    - même si elle ne rend pas du tout ! -

    de la couverture du livre d'or vert espérance qui a bercé mon enfance :

    L'eMusée des objets de famille

    De quoi compléter l'image déposée dans l'e-musée de l'objet !

     

    5 mai 2015

    je viens d'y ajouter une alliance, une pipe et son étui...

    Il suffit de cliquer là.

     

    L'eMusée des objets de famille

     

     

     

    Pour découvrir ce blog :

    c'est là.

     

    N'hésitez pas à fureter,

    à vous laisser porter par ces objets chargés

    d'histoires

    et d'Histoire !

     

     Et puis, à votre tour,

    laissez la photographie d'un objet trouvé, offert, transmis,

    découvert, oublié, abandonné,

    perdu, rejeté, aimé,

    et un texte pour l'accompagner.

     

    Pour rappel,

    le blog d'Ella,

     

    ce musée exceptionnel et émouvant, c'est là.

     

    Et pour en savoir plus sur la machine à écrire

    de mon enfance, cliquez ici.

     

    L'eMusée des objets de famille

     La machine de mes rêves

     

    Allez, pour les curieux,

    les textes sont aussi là :

     

    Le livre d'or

    Mes parents possédaient un chalet, dans les Vosges, qui synthétise notre magique enfance, notre adolescence et la vie de famille, joyeuse, avant la mort de mon père, en 1974, à 46 ans, d’un cancer des poumons. Un livre d’or restait là-bas en permanence et cette photographie du premier feuillet de ce cahier, de l’écriture de papa, témoigne de l’esprit dans lequel mes parents envisageaient cette résidence secondaire. Je tenais beaucoup à ce précieux album vert, dans lequel nous avions tous écrit, les sept enfants, laissé notre trace, scotché des images, résumé le quotidien en journal collectif.

    Maman a finalement dû vendre les lieux, et a donné ce souvenir concret à l’une de mes sœurs. Lorsque je lui ai demandé de me le prêter, quelques années après, cette dernière a dû m’avouer avoir perdu l’irremplaçable document.

    Quel désespoir ! J’ai rêvé, fantasmé, transformé ce trésor envolé, j’ai même écrit un texte qui fut publié sous le titre « Livre d’or », hommage indirect à cette perte essentielle.

    Et puis, longtemps après, maman m’a annoncé, un jour, au téléphone : « Devine ce que ta sœur C. vient de retrouver, par hasard ? » Elle n’a pas eu à en dire davantage, je savais. Mon cœur s’est mis à sauter, j’ai sangloté de joie.

    Allez, je l’avoue, en dehors de l’émotion incroyable à retrouver l’écriture de mon père, j’ai été déçue, finalement. L’objet déposé dans ma mémoire est tellement plus riche, tellement plus merveilleux que celui, concret, que j’ai pu à nouveau consulter !

     

    La machine à écrire

    J’en ai tellement rêvé ! Ma sœur de dix ans mon aînée a eu la chance d’obtenir pour ses études une machine à écrire. Colorée, en plus, un bleu lagon des mers du sud extraordinaire, moderne, rehaussé de sa touche rouge sur la droite du clavier : comparativement aux grosses Underwood ou Remington noires, massives, cet objet design était doté à mes yeux de toutes les grâces. Élégante, stylée, superbe, dans sa mallette de transport, comme j’ai pu l’admirer !

    De loin.

    – Ce n’est pas un jouet !

    Ma sœur la sortait le moins souvent possible, peu intéressée par les exercices scolaires et moi qui me voyais déjà écrivain, j’en bavais.

    Puis j’ai grandi, j’ai tapé des poèmes, mon mémoire de maîtrise sur ses touches dures, bruyantes, à me casser les ongles. J’ai longtemps hésité à acheter un ordinateur : j’aimais tellement cette magnifique pièce de rêve, au rouleau parfois sec, rouge et noir, ses barres de lettres éternellement coincées. J’avais tant désiré la posséder. J’ai d’ailleurs offert à ma nièce, lorsqu’elle était toute jeune, un cadeau de Noël fort cher pour mon budget de l’époque : une « Petite », jouet rose, convaincue que c’était le plus joli présent au monde. Elle n’a pas dû beaucoup s’en amuser.

    N’empêche, j’ai toujours dans le cœur, même maintenant, avec mon Mac grand écran, le chariot brinquebalant, les touches « Majuscule » sur la gauche, et l’armature, solide. Avec son léger poids d’à peine plus de cinq kilos, combien de tonnes de mes espérances rassemblait-elle en elle ?

     

    Ceci n’est pas une pipe

    Comment séparer cette pipe ancienne, dans son étui de cuir, et l’alliance de mon arrière-grand-père, datant  du 18 août 1902, lorsqu’Ernest Reibel, menuisier, a épousé Anne Marie Buhler, mon arrière-grand-mère ? Maman aimait particulièrement le père de sa mère. En 1974, lorsque mon propre père, Robert Poiré, est mort, maman a cherché dans sa maison ce qui pourrait l’aider à supporter ce choc, cette solitude. Elle se retrouvait veuve, à 45 ans, foudroyée, avec sept enfants à nourrir, dont les derniers avaient 2, 4, 9 ans… Dans la boîte à bijoux, elle a retrouvé cette alliance, et s’est dit « Si mon grand-père a pu survivre à la maladie de sa femme, à ses fragilités, il saura m’aider à m’en sortir. » Elle a glissé à son annulaire droit l’alliance portée par Ernest. Né le 30 juin 1874, à Benfeld-Kerzfeld, en Alsace, dans le Bas-Rhin, mort à Metz le 10 novembre 1934, il représentait pour elle quelqu’un l’ayant précédée dans la vie, et ayant su rester « un homme debout », malgré l’adversité. Son alliance était bien trop grande pour Elisabeth Bolzinger Poiré. Maman l’a fait resserrer, pour compléter celle de son mariage, à la main gauche, et depuis, elle ne l’a plus quittée. La semaine dernière, en avril 2015, je suis allée passer quelques jours chez elle. L’alliance usée par le temps s’est brisée. « Tu risques de te blesser… tu devrais la faire réparer ou ne plus la porter. » Elle hésitait. C’est là qu’elle est allée chercher les autres souvenirs de son grand-père. Une paire de lunettes, et cette pipe, dans son étui de cuir.  Je me suis demandé si maman avait établi un lien entre cet objet personnel, et le cancer des poumons, généralisé, qui a emporté mon propre père, si jeune ? Lui aussi fumait. Et ses pipes font également partie des traces « précieuses » conservées en souvenir de lui. Comme cette autre pipe, au chardon brisé, avec la Croix de Lorraine, qui appartenait à l’oncle Émile, curé à Jouy aux Arches, avec son écusson de la Moselle, et son texte datant du début du XXe siècle, « Devoir » et « Espoir », sculptés dans le bois. Moi qui ne fume plus, depuis longtemps, je me dis que dans notre famille, le tabac a causé bien des torts, abrégé bien des vies. S’agit-il d’objets à transmettre ? Maman m’a offert l’une des pipes de mon père, il y a des années. Elle se trouve à mes côtés, dans mon bureau. Je ne la photographierai pas pour cet e-musée de l’objet.

     

    L'eMusée des objets de famille

    Une page du fameux "livre d'or"...

     

    Un dépôt de juin 2015

       
    Le tee-shirt jaune vif

    Pardon pour la photo. Je m’excuse, elle n’est pas très bien prise… Dans mon armoire, sous la pile de vêtements que je porte régulièrement, repose un tee-shirt, devenu avec le temps « de nuit ». C’est un cadeau d’A. S., une copine de Quatrième. En 1979, cette fille de deux psychiatres – ceci n’est sans doute pas innocent pour la suite de l’histoire – est allée durant les grandes vacances aux USA. C’était alors si loin ! Avoir la chance de partir jusque chez les Yankees était extrêmement rare. Elle m’a ramené ce cadeau incroyable : jaune vif (trente-cinq ans après, il a perdu de sa superbe !), avec son texte type graffiti orangé, que je trouvais très beau, même s’il ne correspondait pas du tout au goût français. La taille en était XXL et pourtant il n’est pas si gigantesque, même s’il est grand. Je me souviens de mon émotion : que cette copine ait pensé à moi, depuis son lointain séjour, m’a beaucoup touchée. Le coton en est tout doux, très usé, désormais, prêt à se déchirer, devenu quasi transparent, à l’épaule, à force d’avoir été porté. Mais je le conserve, souvenir tangible de mes années collège, de l’exotisme, alors, d’un voyage extraordinaire, à l’autre bout de l’océan… Souvenir surtout d’un geste amical, qui n’était pas dénué de sens : A.S. se moquait de ma propension à m’excuser sans arrêt. Je n’avais jamais pris conscience, avant, que je souffrais de ce tic.

    Malgré ce gift marquant, je continue à présenter mes excuses, même lorsqu’un inconnu me marche sur les pieds ou me bouscule dans la rue. Pardon ! « Excuse me ! » Le tee-shirt est toujours là. J’aime à penser qu’il va reposer désormais dans cet e-musée des objets. J’avais si peur qu’il soit mangé par les mites. Le voilà sauvé, et mon adolescence avec lui. Merci, cher musée.

    L'eMusée des objets de famille


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  • Commentaires

    2
    Belette
    Mardi 10 Décembre 2019 à 18:39

    que dire après tout ces écrits ??? je n'ai pas de mots pour transmettre mes émotions devant tant de fidélité de coeur !!!

      • Mardi 10 Décembre 2019 à 18:44

        Merci BELETTE. Oui, au travers des objets, de leur histoire et des événements partagés, ce sont des cœurs qui palpitent, c'est sûr !

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