• Lettre au cambrioleur qui...

    s'est introduit chez ma maman la semaine dernière.

     

    Lundi 18 novembre 2019

     

    Monsieur le voleur,

     

    c’est plus fort que moi, depuis ce triste jour de novembre 2019, je vous écris lettre sur lettre, dans ma tête, de jour comme de nuit. Alors pourquoi pas en vrai ?

     

    J’aimerais que ce courrier arrive jusqu’à vous. Je sais bien que les amis de mes amis ne sont pas des voleurs, mais tout de même, je m’appuie sur cette théorie, concernant les six degrés de séparation… On dit qu’il n’existe pas beaucoup de distance, entre, mettons, Barack Obama et vous. Ou moi. Six poignées de main, six maillons, pas davantage : on connaît toujours quelqu’un qui connaît quelqu’un qui… Rapidement, on trouve la personne exacte qui permet de faire arriver le message à destination.

     

    À vrai dire, si je suis assez fascinée à l’idée d’être tellement proche, finalement, de l’ex-président des États-Unis, avec son lumineux sourire, et son charisme, je préférerais pouvoir penser que non, finalement, il est impossible que les amis de mes amis puissent, d’une quelconque façon, vous connaître. Pourtant, ils pourraient vous parler, vous faire réfléchir, peut-être.

     

    Ma maman va fêter ses 90 ans dans quelques semaines. Frêle, fragilisée par les ans, elle a conservé une part d’elle-même essentielle, qui est la confiance et l’extrême bonté. Lorsque vous avez sonné à sa porte, elle vous a ouvert. Elle vous a généreusement reçu. Vous vendiez des calendriers, pour des orphelins, des handicapés. Elle ne sait plus très bien. En tout cas, c’était participer à une bonne œuvre que d’accepter de vous recevoir. Elle vous a ouvert sa porte. Elle vous a laissé monter, dans sa cuisine. Avez-vous réclamé un verre d’eau, parce que vous aviez soif, par artifice, ou vous a-t-elle spontanément proposé ce jus d’oranges, bien frais, pour vous réhydrater ? Visiblement, le stratagème est courant, Internet en parle. Mais ma mère ne s’est pas méfiée, elle a préféré, comme toujours, depuis 90 ans, faire confiance. Accorder sa confiance. En toute évidence, et simplicité.

     

    Compatissante, elle comprenait bien que vous aviez beaucoup de travail, à passer d’une maison à l’autre.

     

    Elle vous a plaint. Souriante, elle n’a pas pu imaginer que vous seriez si culotté. Lorsqu’elle m’a raconté la suite, elle se sentait fautive. Comme si c’était elle, la coupable !

     

    Au moment de vous payer le fameux calendrier, la pièce d’un euro qu’elle tenait à la main est tombée. Elle se dit qu’elle a dû être maladroite. Peut-être. Ou bien, professionnel de la truanderie, n’avez-vous pas hésité, par stratégie, à la faire glisser. Vous. Par duperie. Voilà la brave femme qui vous reçoit, ma maman, avec toute la souplesse de ses quatre-vingt-dix ans, pliée en deux pour ramasser ladite pièce, laquelle a malencontreusement roulé sous le frigo. Pendant ce temps, monsieur, vous pouvez vous servir, vider son porte-monnaie, son portefeuille, aussi. Le sac ouvert, à portée de main, est sans défense. Vous avez l’habitude, vous allez vite. Il paraît qu'un voleur n'a besoin que de 90 secondes à 12 minutes, en moyenne, pour dérober l'essentiel dans une maison. Vous connaissez les réflexes de tout le monde, et surtout d’une personne âgée. Maman s’est redressée comme elle l’a pu. Elle avait tout perdu, et l’ignorait encore. A-t-elle retrouvé la fameuse piécette. Je ne le sais pas.  

     

    Si seulement vous vous étiez arrêté là, monsieur l’escroc. Vous lui avez alors joué une autre comédie. Quelle tristesse ! Maman, si confiante, si sûre que l’humanité lui ressemble, est généreuse, fondamentalement bonne. Excellent comédien, sans doute, ou peut-être même pas, face à ce public fragile, crédule, sincère, vous avez feint d’avoir soudain mal au ventre, une urgence : « Pardon madame, puis-je utiliser vos toilettes ? » Je vous imagine faussement poli, vous étiez peut-être même sec, fruste.

     

    Le fait est que ma maman vous a gentiment indiqué les lieux d’aisance, et a attendu, dans la cuisine, pour ne pas vous déranger. Le temps lui a semblé long, tout de même. Que se passait-il ? Vous ne reveniez pas. Et pour cause ! Elle s’est alors inquiétée : « Le pauvre homme a peut-être fait un malaise, il ne se sentait pas bien ! Il doit être malade. » Elle est finalement allée frapper à la porte des toilettes, timidement, espérant une réponse, qui n’est jamais venue. Elle a eu peur : « Et si ce pauvre monsieur se sentait vraiment mal ? » Elle réfléchissait : « Il a peut-être besoin de moi ? » Elle a fini par ouvrir la porte, et elle a trouvé, stupéfaite, les lieux vides. La peur alors a commencé à envahir ma pauvre maman. Ses 90 ans n’avaient pu imaginer pareille rouerie. Tout s’est déroulé très vite. Trois chambres, au bout du couloir : elle a cherché, le cœur battant. Le malandrin, le vaurien… Oui, c’est de vous que je parle ! Une crapule sans foi ni loi. Vous étiez dans la dernière, la sienne. La grande armoire de chêne patinée par les ans était totalement ouverte, les trois portes, béantes, et vous, continuant à chercher.

     

    « Quel sans-gêne ! Tu te rends compte ? » m’a dit maman.

     

    Vous étiez en train de fouiller, de vous servir, comme chez vous. Tranquille.

     

    Maman ne sait plus, troublée, choquée. Elle ne peut raconter ce qui s’est exactement passé à ce moment précis. Comment êtes-vous sorti, monsieur ? L’avez-vous insultée, ma pauvre mère ? Menacée ? Vous êtes-vous tu, honteux ? Avez-vous quitté les lieux en courant ou en prenant tout votre temps ? En riant ? Moqueur, fier de votre dextérité, de vos ruses ?

     

    Sales combines !

     

    Maman ne sait plus, le traumatisme et l’usure des ans ont fait qu’elle a un blanc. « Ça fait drôle ! Tu peux comprendre que ça m’ait bousculée… J’en ai toute la carcasse qui tremble. »

     

    Ma maman sait juste qu’après, elle a compris, peu à peu. Elle a vérifié, revérifié, re-regardé : le porte-monnaie était vide, désormais. Pas même deux pièces, pour le pain, le lendemain matin. Rien. Plus rien. Le portefeuille aussi, nettoyé. La pochette dans laquelle maman glisse toujours quelques billets, parce qu’on ne sait jamais, est vide, également. Dans l’armoire de chêne brutalement violée, l’enveloppe contenant ses économies, là encore, « pour le cas où », la réserve, dans laquelle piocher, est tout autant inoccupée.

     

    Peu importe combien elle contenait. Peu importe la valeur réelle du vol. Ce n’est pas un larcin. C’est un viol d’intimité, c’est une brisure de sécurité.

     

    C’est dégoûtant.

     

    OK, monsieur le cambrioleur, escamoteur de billets, vous n’avez pris "que" des euros. Ce n’est "que" du matériel. Certes. Seulement, désormais, maman sursaute, lorsqu’on sonne à sa porte. Elle a peur de descendre simplement voir qui va là. Elle est blessée dans sa confiance dans l’humanité. Sa sécurité est élimée, érodée, réduite à néant. Elle hésitera peut-être, lorsque les pompiers vont venir sonner à leur tour, pour lui vendre, comme chaque année, leur calendrier. Elle le dit : "Ça m'a bien secouée !" Quand elle se rend d'une pièce à l'autre, désormais, c'est difficile. Elle ouvre tout doucement les portes, comme si vous pouviez en jaillir...

     

     Maman, si généreuse, si gentille. Je l’avais justement vue trois jours plus tôt. Sur la tablette de l’entrée, elle avait laissé quelques pièces « pour ceux qui ont faim », et qui sonnent, parfois. « Il y en a ! » Ma mère n’a hélas pas perdu que quelques billets, économisés, alors qu’elle a courageusement élevé sept enfants, et s’est trouvée veuve à l’âge de 45 ans, avec des petits de deux, quatre, neuf, onze, dix-sept ans. Sans compter les aînés. Elle a perdu la foi et la confiance, dans l’humanité, dans la douceur de vivre. Elle ne sera plus tranquille, comme avant, dans sa maison.

     

    Le comble, monsieur le bandit, c’est que je me dis qu’il me faudrait encore vous remercier. Vous ne l’avez ni violée, ni séquestrée, vous ne l’avez pas violentée, martyrisée, physiquement. Vous auriez pu la tuer. Une brindille. Elle est si fragile. Vous vous êtes enfui, comme un voleur… Vous auriez pu mal réagir, en étant ainsi pris sur le fait, la main dans le sac, les trois portes de chêne ouvertes sur les draps, les sous-vêtements, les secrets d’une vieille femme de 90 ans.

     

    On ne respecte rien, ni personne, on se sert, mais au moins, vous ne lui avez pas fait de mal, sur le moment. Néanmoins, imaginez, votre propre mère, ou grand-mère, monsieur. Imaginez quelqu’un à qui vous tenez, ainsi terrorisée. Traumatisée. Vous êtes une fripouille : ma maman ne sera plus la même. Dépouillée de ses illusions sur la gentillesse, limitée dans sa générosité, dans ses certitudes, sur l’Humanité.

     

    Juste après votre passage, c’était la fête de ma maman. Merci à vous de lui avoir offert un si joli cadeau. Le doute perpétuel, à présent, sur quiconque viendra sonner, les mains tendues, auxquelles elle hésitera à répondre. Bravo, merci.

     

    Quel acte courageux de votre part, vous attaquer ainsi à une personne affaiblie. Elle a eu une longue et belle vie : vous, monsieur, j’en doute.

     

    J’espère vraiment que plus que six degrés nous séparent, et même si j’aimerais que vous puissiez réfléchir aux conséquences de votre vol, si habilement conçu, en réalité, je préfère que vous ne me lisiez jamais.

     

     

     

     

     

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  • Commentaires

    4
    Jean Moulu
    Lundi 13 Janvier 2020 à 15:59
    Quel malheur je suis désolé pour vous
      • Lundi 13 Janvier 2020 à 19:46

        Merci M. Moulu pour ce message de compassion. En fait, ma maman s'est plutôt bien remise. C'est plutôt nous, les enfants, qui sommes en état d'inquiétude, après ce moment difficile pour elle et qui aurait pu être bien pire !

    3
    Belette
    Mardi 19 Novembre 2019 à 10:56

    C'est un scandale une honte que de s"attaquer a une personne âgée la nausée me prends la colère m'envahie ! Je suis consternée devant si peu de respect et je te trouve trop bonne dans tes écrits certes il n'y a pas eu d"attaques physiques mais le mal n'en est pas moins dévastateur ! car pour retrouver la quiétude quasi impossible pour une personne âgée c'est incommensurable ! sans compter désormais l'angoisse la peur des proches ! Pour moi même s'il ta Maman n'a pas été blessée quelque part il l'a tuée . J'espère qu'il va en pâtir quand il sera retrouver pour moi pas de pitié qu'il crève en enfer ( au demeurant bien trop doux ) pour ces ordures...Aussi pour vous mes Pensées affectueuses un bon rétablissement a ta Maman bon courage a vous Bises !

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